Le TfT, 50 ans après… d’Anne Nenarokoff-Van Burek
Le TfT, 50 ans après… d’Anne Nenarokoff-Van Burek
Je n’ai pas de doctorat.
Merci le TfT.
Je flirtais avec un doctorat sur Les Fleurs du Mal de Baudelaire à l’université de Toronto, quand je suis tombée sur John Van Burek… et… je n’ai jamais fini ma thèse.
Je n’ai jamais regardé en arrière non plus car John m’a ouvert les portes d’un monde magique : le monde du théâtre, la vie d’artiste contre laquelle m’avaient tant mise en garde mes parents !
Alors, comme ça, je me suis trouvée mariée au théâtre… pour devenir, comme on dit en anglais « a theatre widow » et puis, quelques années plus tard, avec la venue de Nicolas, « a stage mother ». Mais là, je digresse…
Au moment où j’ai rencontré John, le P’tit Bonheur, comme s’appelait le TfT à l’époque, s’installait alors au coin de Broadview et Danforth, au troisième étage d’un édifice habité surtout par un restaurant macédonien où il y avait régulièrement des noces avec les assiettes cassées de rigueur, des danses et de la musique, le tout fort bruyant.
Fondé en 1967 par Charlotte Gobeil et un groupe de dames francophones qui voulaient faire du théâtre, le P’tit Bonheur a reçu le nom de la pièce de Félix Leclerc. Par la suite, les dames se rencontraient dans le salon de l’une d’elles et elles montaient un spectacle par année. En 1971 Jacques Zouvi, le père d’Alain, venait de Montréal en avion pour diriger la troupe amateure dans Le Fou d’Agolan, et c’est à ce moment-là que John Van Burek s’est joint à la compagnie. Le Théâtre du P’tit Bonheur est devenu théâtre professionnel en 1972, grâce au Programme d’initiatives locales instauré par le gouvernement de Pierre Trudeau. Le TPB, comme on l’appelait, a commencé avec l’appui de bénévoles, dans un élan d’enthousiasme extraordinaire. Au début des années 70, naissaient à peu près en même temps le Tarragon, le Toronto Free Theatre, devenu aujourd’hui Canadian Stage, Théâtre Passe-Muraille, Factory Theatre… le Canada se créait sur scène et découvrait une communauté théâtrale. C’est aussi à cette époque-là, grâce à Eugène Gallant à la direction artistique du P’tit Bonheur, que nous avons découvert la merveilleuse Viola Léger, dans La Sagouine. Et… elle a fait le tour du monde.
Pendant ce temps-là, au Québec, ça pétait le feu avec Michel Tremblay et André Brassard. Les Belles Sœurs qui ont marqué le début de la longue collaboration entre John et Bill Glassco ont révolutionné le théâtre et sont encore jouées dans le monde entier. Il y a eu une production en Écossais et des productions en japonais…. Et tout récemment une production en Irlande.
Cinquante ans !
Ce n’est pas un âge qu’on va crier sur les toits quand on est une personne, mais quand on est un théâtre, alors ça c’est une autre histoire. C’est toute une histoire.
On attribue à Jean Cocteau une phrase qu’il aurait empruntée à Mark Twain
« Ils ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l’ont fait. »
Donc, le Théâtre du P’tit Bonheur s’est monté sur le dos de bénévoles enthousiastes qui ne savaient pas ce qu’ils faisaient ni trop comment le faire. Leurs tâches allaient de nettoyer les toilettes – pas d’enthousiasme là – à peindre des décors, finir des costumes, confectionner des affiches en sérigraphie, les distribuer, le tout dans une cacophonie joyeuse où le sentiment de contribuer à l’art nous mettait le feu au derrière.
À l’époque, les cigarettes n’étaient pas chères – nous fumions tous – et le vin hongrois, le Seksardi Voros coûtait 2 dollars 25 la bouteille – de UN litre ! On avait tout ce qu’il fallait.
Et puis, le P’tit Bonheur a grandi, est devenu Théâtre français de Toronto.
Après John, c’est Diana Leblanc qui a repris la barre. Diana a ouvert la porte à une grande diversité d’interprètes- ce qui n’a pas manqué d’occasionner quelques murmures par rapport aux accents… tout le monde n’est pas né… pure laine…
Et puis, Diana a quitté le TfT pour poursuivre sa brillante carrière de metteure en scène. Le TfT a aussi connu plusieurs administrateurs. Claudia Lebeuf a tenu les cordons de la bourse plusieurs années et elle continue d’être une amie et grande bienfaitrice. Et Greg Brown, bien sûr.
Après John et Diana à la direction artistique, ce fut le long et fructueux séjour de Guy Mignault qui a amené stabilité et continuité. Guy a ouvert la porte à une foule de nouveaux talents, interprètes, auteurs, designers et artisans. Il a fait rayonner le TfT à l’échelle du pays avec des co-productions : la Catapulte à Ottawa, La Rubrique à Jonquière, le Théâtre Blanc à Québec, le Tandem à Rouyn Noranda… Tous les soirs, Guy était là pour accueillir son cher public qui le lui rendait bien. On doit aussi à Guy cette merveilleuse initiative des Zinspirés qui révèle chaque année des auteurs de talent parmi des étudiants du secondaire des quatre coins de la province. Et, depuis plus de 25 ans, c’est sous la férule et l’œil de lynx de Ghislain Caron, Directeur administratif et véritable pilier du TfT, que tout fonctionne rondement. Ghislain a assuré la transition des quatre directeurs artistiques : il débutait avec John, continuait avec Diana, puis avec Guy, il a affirmé ses talents d’administrateur hors pair. Et le voilà maintenant compagnon de route de Joël. Bonne chance, Joël !
Mais, au fait, un théâtre français à Toronto ? Au départ, c’était un rêve, c’est devenu une réalité et, de nos jours, alors que Toronto est la ville la plus cosmopolite au monde, une porte ouverte sur l’inclusivité et sur l’avenir.
Le TfT a toujours été un lieu de rassemblement pour les francophones de tout acabit de Toronto : franco-ontariens, québécois, français de France, vietnamiens, africains, haïtiens, européens, iraniens et de nombreux anglophones francophiles. Une soirée au TfT, c’est l’occasion de renouer avec son patrimoine ou de s’ouvrir à d’autres, selon la programmation qui va du classique au contemporain. Au long de sa carrière, le TfT aura fait découvrir des pièces et des comédiens, lancé des jeunes carrières, donné leur chance à bien des auteurs et auteures, dont je suis.
Alors, re-merci le TfT.
Il y a vingt ans, on se félicitait de la longévité du TfT et la grande Huguette Oligny disait :
« Trente ans, quel bel âge pour un théâtre ! »
Et cinquante alors ? Ça se crie sur les toits, ça se célèbre, ça s’arrose !
Et tirons une grande révérence à tous les artisans qui ont assuré le cheminement de ce théâtre, né un peu miraculeusement, et aujourd’hui costaud sur ses pattes.
Joël, à toi de jouer.
Vive le TfT !
Anne Nenarokoff-Van Burek