La mention du théâtre classique crée en nous, créateurs et spectateurs canadiens, des attentes, notamment en ce qui concerne les thèmes abordés et la forme proposée. Il est donc agréable et surprenant de constater dans quelle mesure La Seconde surprise de l’amour déjoue nos attentes à plus d’un égard.
D’emblée, que penser des figures de la Marquise et de Lisette? Non seulement sont-elles complices, mais elles mènent l’action avec des mains de maîtres : nul ne peut douter que le pouvoir dans cette pièce réside chez les femmes. Malgré la persistance de certains stéréotypes genrés ponctuant la pièce çà et là, le principe du libre-arbitrage est défendu avec force comme seul déterminant possible de l’amour.
Quant à la forme, à l’oreille contemporaine, le choix de vocabulaire, les temps de verbes employés, la complexité de certaines phrases peuvent donner l’impression d’un théâtre terriblement écrit. Et pourtant, une analyse plus fine révèle que les personnages de Marivaux existent dans un univers où la spontanéité prime sur la raison. Ils ne pensent pas ; ils réagissent et ce, sans anticiper les conséquences des gestes posés. C’est ainsi qu’ils se mettent en danger; en faisant maintes découvertes sentimentales imprévues. C’est surtout ici, à mon avis, que l’on ressent l’influence de la commedia dell’arte des Italiens qui a tant nourri la démarche de Marivaux.
Chose certaine, à cause de l’importance des femmes dans cette pièce et de la liberté qui fait du parler des personnages un délice, rien n’est joué d’avance. En fait, on a l’impression que l’intrigue pourrait prendre fin à n’importe quel moment. Pour ces raisons, monter Marivaux nécessite une mise en parallèle de l’action et de la parole afin qu’elles ne fassent qu’une. Ici, « dire », c’est surtout « faire », pour paraphraser l’expression consacrée.
Dans un tel monde, il y a un plaisir sans fin tant pour les interprètes que pour le public. Ici, une Marquise veuve et un Chevalier abandonné se lient à travers leur refus de revivre l’amour; le premier a laissé trop de séquelles. Le second est non seulement inattendu, mais dangereux.
Manifestement, il y avait pour moi autant de raisons pour monter cette pièce dans la forme que dans le fond.
Joël Beddows