Ceci n’est pas notre dernière Parole manifeste !
Bilan d’une saison « pas comme les autres » : ceci n’est pas notre dernière Parole manifeste !
Au moment de lancer la saison 2018-2019, jamais je n’aurais pu anticiper que le titre donné à la programmation, Paroles manifestes, résonnerait avec autant de force. Au désir de célébrer l’unicité des paroles des artistes s’est ajouté l’urgence civique de rendre manifeste notre présence à titre de Franco-ontariens dans la Cité.
Force est de constater que la suspension du projet d’une université de langue française et l’abolition du Commissariat aux services en français par le gouvernement Ford ont mobilisé toute une société. Comme il se doit, le personnel et les membres du conseil d’administration, les artistes tout comme les publics du Théâtre français de Toronto (TfT) se sont ralliés pour résister à ces choix politiques incompréhensibles. Ce faisant, nous avons aussi souligné notre soutien collectif au projet d’animer et de faire croître un espace culturel de langue française distinct et bien à nous. En filigrane à chaque production, chaque événement, chaque prise de parole, le TfT a ainsi servi de lieu de rencontre et de rassemblement pour tous ceux qui continuent à croire que l’art a un rôle essentiel à jouer dans une société résolument tourné vers l’avenir. Je le crois viscéralement : le « théâtre de tous les possibles » demeure plus que jamais au cœur d’une communauté dynamique et engagée !
Malgré ce contexte – et possiblement à cause de lui –, le ludisme des pratiques et les propos explorés par les créateurs ont pris une importance particulière cette année. Personnellement, je me rappellerai toujours des prestations nuancées des interprètes de La Seconde Surprise de l’amour de Marivaux et du plaisir que nous avons eu ensemble en salle de répétition à explorer cette pièce exigeante. Comment passer sous silence l’énergie électrique des Zinspirés : l’âge de raison, cinq contes teintés d’absolutisme magistralement mis en scène par Chanda Gibson ? Comment oublier Impatience d’Anne-Marie Ouellet et Thomas Sinou ? Ce moment de communion qui nous a permis de prendre contact avec les rêves de trois adolescents exceptionnels ? Traversée d’Estelle Savasta représentait un moment historique pour le TfT : pour la première fois, le langage des signes québécois (LSQ) a servi de moyen pour raconter une histoire émouvante : celle de l’amour inconditionnel que porte une mère envers sa fille. Les réactions vives et les échanges avec les enfants qui ont assisté au Bibliothécaire de Marie-Hélène d’Amours (présenté en partenariat avec l’Alliance française de Toronto), ainsi que Mokatek de Dave Jenniss et Le Carré de sable de Diane Loiselle (présentés en partenariat avec le WeeFestival), nous ont rappelé l’importance d’offrir aux jeunes publics des spectacles à la hauteur de ce qu’il mérite. Enfin, les productions Bigre de Pierre Guillois, Agathe L’Huillier et Olivier Martin-Salvan, Écoutez nos défaites de Laurent Gaudé ou Par cœur de Tiago Rodrigues nous ont fait rire et réfléchir. Manifestement, nos invités de Paris, Montréal et Lisbonne partagent nos préoccupations quant à l’importance du « vivre ensemble », le besoin d’une réflexion plus poussée autour de la politique internationale et la fragilité et la beauté du souvenir pour l’individu et la société.
En parallèle à cette programmation torontoise, le TfT a continué à jouer son rôle d’ambassadeur. Le Dire de Di de Michel Ouellette, dans une coproduction avec nos complices au Théâtre la Catapulte, a conquis les publics d’Ottawa, Montréal et Kingston, avant de tenir l’affiche dans le cadre du Carrefour international de théâtre de Québec. Avant l’archipel d’Emily Pearlman, en coproduction avec le Théâtre la Catapulte et l’Irréductible Petit Peuple de Québec, a continué de sillonner les routes du pays, en commençant par un séjour de trois semaines à la Salle Fred-Barry de Montréal avant de séduire les publics d’Ottawa et de l’Acadie. Exercice de l’oubli d’Emma Haché, texte finaliste pour le prestigieux prix du Gouverneur général du Canada, a pris l’affiche à Caraquet au Théâtre populaire d’Acadie avant de partir en tournée au Nouveau-Brunswick. Enfin, toujours nourri par une passion commune pour les écritures contemporaines, les échanges entre le Théâtre de la Veillée de Montréal et le TfT dans le cadre du « corridor Toronto-Montréal » se sont poursuivis.
Vous me permettrez de profiter de ce bilan pour jeter aussi un peu de lumière sur les accomplissements parfois moins visibles, mais tout aussi importants, des artisans qui font du TfT bien plus qu’une compagnie de théâtre, mais une réelle institution culturelle.
En 2018-2019, les activités du TfT dans le domaine de la médiation culturelle ont pris un élan et une importance sans précédent. Des nouvelles stratégies de prise de contact nous ont permis de bonifier nos liens autant avec les francophones qu’avec les francophiles que les néo-Canadiens. Par ailleurs, dans le cadre d’un projet appuyé par les fondations Trillium et Metcalf, les productions du TfT ont touché un nombre record d’enfants et d’adolescents dans la Ville-Reine. Toujours dans le domaine de la médiation et plus spécifiquement, dans le cadre du concours d’écriture Les Zinspiré.e.s animé avec tant de passion par Pierre Simpson, 13 écoles secondaires du Grand Toronto et du Sud de l’Ontario ont soumis un total de 165 textes. De plus, 17 autrices et auteurs adolescent.e.s ont participé aux fins de semaine d’écriture en compagnie de conseillers dramaturgiques et de comédiens professionnels. Enfin, les cours de théâtre pour enfants se poursuivent et se développent davantage : Jean-Michel Le Gal continue d’enseigner aux cotés, cette année, de Ziad Ek et Eudes Laroche-Francoeur non seulement les samedis matins, mais en semaine dans le cadre d’une entente avec le Lycée français. Le TfT poursuit sa collaboration avec l’Alliance française de Toronto et offrira cet été, pour la deuxième fois, des camps de théâtre pour les enfants de 5 à 12 ans.
Au TfT, on se souci autant du développement des artistes que du public et les dramaturges occupent plus que jamais une place privilégiée au sein de la compagnie. En septembre passé, L’Affaire de Juliette B. de Lina Blais, Le Club des éphémères d’Alain Doom, Flush de Marie-Claire Marcotte et Cartouche [j’ai aimé ça] de Michel Ouellette ont fait l’objet de mises en lecture fort appréciées dans le cadre du festival des Feuilles vives à Ottawa. Les auteurs Lina Blais, Alain Doom, Natalie Feheregyhazi (Théâtre Apuka), Bruno Gaudette, Jean-Michel Le Gal, Sarah Migneron et Vincent Leblanc-Beaudoin ont pu profiter d’appuis divers en 2018-2019, allant d’un accès gratuit à la salle de répétition de la compagnie jusqu’à l’organisation de laboratoires exploratoires. Lisa L’Heureux (lauréate du Prix Trillium 2019) et Sarah Migneron ont poursuivi le développement de projets destinés aux jeunes publics dans le cadre du projet « Dramaturgie en chantier » co-animé avec le Théâtre la Catapulte et le Théâtre du Nouvel-Ontario à Sudbury. C’est avec les dramaturges et nos partenaires alliés que nous préparons les projets de demain.
Et pour conclure le tout, une fête ! Le 15 mai 2019, le TfT a célébré la fin de sa 51e saison lors d’une soirée de levée de fonds. L’événement, animé par Isabelle Fleury de Radio-Canada et présidé par la députée provinciale de Glengarry-Prescott-Russell, madame Amanda Simard, a eu lieu à l’école historique Enoch-Turner. Réinventée sous la forme d’un cabaret, la soirée incluait des prestations de la talentueuse Patricia Cano accompagnée de ses musiciens, ainsi que des performances musicales surprises de Robert Godin, Valérie Descheneaux et Nathalie Nadon. Merci à vous tous.
Tout cela est rendu possible grâce à l’engagement et le souci du dépassement des créateurs, certes, mais aussi grâce à la complicité d’une équipe exceptionnelle. Ghislain Caron (administration et co-direction générale), Camille Mauran (financement privé), JoAnn Mailloux (comptabilité), Sandra-Émilie Veilleux (adjointe à la direction générale et service au public), Manuel Verreydt (Directeur de la communication) et Hadrien Volle (médiation culturelle), ainsi que nos stagiaires et employé d’été Anouk Bortuzzo, Marie Douillard, Gloria Lokwa, Tobias Pivato, Marion Ser, Clara Zederman, vous êtes les héros de l’ombre, rien de moins ! Au nom des spectateurs touchés, au nom de toute une communauté artistique, je vous dis « mille fois mercis ».
Enfin, c’est avec un pincement au cœur que nous avons dit au revoir à Natalie Gisèle, notre directrice de production depuis 2014, qui relève désormais de nouveaux défis au prestigieux Theatre Centre. Natalie, on ne peut souligner assez ta contribution à l’essor actuel du TfT ! Le TfT aura le plaisir d’accueillir dès la saison prochaine Mélanie Hall, régisseure longuement associée à la compagnie, pour intégrer ce poste. Nous voulons aussi souhaiter la bienvenue à la nouvelle membre du conseil d’administration, l’entrepreneure bien connue à Toronto, madame Fayza Abdallaoui.
Peu importe les défis qui nous attendent en 2019-2020, tant sur le plan politique que social ou artistique, je sais que nous allons les relever ensemble. Le TfT demeure « le théâtre de tous les possibles » pour une raison tout simple : vous !
Le directeur artistique
Joël Beddows
QUELQUES FAITS SAILLANTS
16 463 spectateurs ont assisté à une représentation du TfT en 2018-2019, une augmentation de 15% par rapport à 2017-2018 ;
Plus précisément, 9 803 spectateur ont assisté à des pièces présentées au Berkeley Street Theatre : 6 330 spectateurs dans le « Upstairs » et 3 473 spectateurs dans le « Downstairs » ;
Les spectacles co-présentés avec le WeeFestival et l’Alliance française de Toronto ont été vu par 1 840 spectateurs ;
Trois coproductions en tournée ont été vues par 4 820 spectateurs ;
Dans le cas des Zinspirés : l’âge de raison, au total, 2 665 spectateurs ont assisté aux 16 représentations — c’est 346 personnes de plus que l’an passé ;
Les Zinspirés : l’âge de raison ont reçu le plus grand nombre de nomination pour les prix Dora-Mavor-Moore (Les Doras) pour un seul spectacle dans l’histoire du TfT. Bravo à Chanda Gibson qui a remporté le Dora de la meilleure mise en scène jeune public et à Nick Di Gitaeno, Ziad Ek, Bianca Heuvelmans, Sheila Ingabire et Eudes La Roche-Francoeur qui ont collectivement remporté le Dora de la meilleure distribution pour un spectacle jeune public ;
La soirée bénéfice a permis au TfT de lever 30,000$ afin d’appuyer sa programmation artistique et ses programmes jeunesse. 130 allié.e.s y ont assisté !
Photo de Marc Lemyre. Distribution de La Seconde Surprise de l’amour. Octobre 2018.